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La Mention Spéciale 2011

Les « laissés-pour-compte » de la rupture conventionnelle Ils avaient contracté une assurance perte d’emploi pour garantir le remboursement de leur prêt bancaire. Lorsque ces salariés ont quitté leur travail « à l’amiable », leurs assureurs ne leur ont finalement rien versés. Ils seraient entre 10 000 et 30 000. Aujourd’hui endettés, ces clients dénoncent un vide juridique.

Isolée derrière les arbres qui longent une route départementale de Lanvollon (Côtes d’Armor), une façade quasiment rénovée. L’enduit est encore frais. Passée la porte, sur la table du salon, les boîtes d’antidépresseurs se vident à mesure que les factures s’empilent. Au bord du gouffre, Marie-Thérèse Plusquellec croule sous les dettes. En 2004, cette salariée d’un magasin de discount achète la maison de ses rêves. Sa banque lui accorde alors une somme de 55 000 euros, remboursable sur 15 ans. Un prêt qui nécessite la contraction d’une « assurance perte d’emploi ». En France, cette disposition concerne un emprunteur sur dix. « Mon banquier m’a expliquée que cette assurance prendrait en charge le remboursement de mon prêt, au cas où je serais licenciée, se souvient-elle. J’ai signé sans sourciller ». Quand, quatre ans plus tard, elle quitte son emploi à la faveur d’une rupture conventionnelle, Marie-Thérèse Plusquellec tombe des nues : son assurance refuse de lui verser un seul centime. La raison ‘ Pour Suravenir, la compagnie avec laquelle elle a contracté, cette femme aujourd’hui âgée de 52 ans a quitté de son propre chef l’entreprise et doit être considérée comme démissionnaire. « Or le contrat indique qu’il faut être licencié pour accéder à une couverture des mensualités », précise-t-on au siège de l’assureur. Marie-Thérèse Plusquellec voit les choses différemment : « La loi n’existait même pas lorsque j’ai paraphé les termes de mon contrat. En théorie, mon assurance devrait donc fonctionner ! » Adoptées en juin 2008 dans le cadre de la loi de modernisation du marché du travail, les dispositions sur la rupture conventionnelle indiquent que celle-ci ne peut être considérée ni comme une démission ni comme un licenciement (lire notre encadré). Derrière cette définition, une véritable bataille sémantique s’est engagée. Et les victimes se sont multipliées. La loi ne prévoit rien A l’évidence, le flou artistique est également de mise dans le milieu de l’assurance. Contactées par téléphone, trois agences sur cinq – issus de compagnies pourtant notoires – ont bien du mal à se prononcer sur la rupture conventionnelle, pour la simple et bonne raison qu’elles ne maitrisent pas encore le sujet. Saisi à plusieurs reprises par des clients en colère, Francis Frizon, le Médiateur de la Fédération française des sociétés d’assurance, se contente de recommander aux assureurs plus de clarté : les contrats doivent stipuler que la rupture conventionnelle n’autorise aucune prise en charge des mensualités. Mais concernant les personnes ayant contracté une assurance avant la création de cette mesure, il n’a pas…de solution. « On est tout simplement face à un vide juridique, explique Stéphane Madoz-Blanchet avocat au Barreau de Paris. Quand la rupture conventionnelle a été créée, les législateurs n’ont pas pensé que cela poserait problème auprès des assurances perte d’emploi. Pour le moment, aucun texte ne comble ce vide. Il faut attendre que la décision d’un tribunal fasse jurisprudence. » Mais un recours en justice est tout simplement inenvisageable. Lui aussi victime de cette absence de législation, Alain Diasonga, un chef cuisinier au chômage, peut en témoigner : « Mon assurance m’a déjà pris plus de 10 000 € de cotisations en six ans. Tous les mois j’ai un découvert de 1 800 €. Pour engager une bataille juridique perdue d’avance, il faut envoyer des lettres en recommandé qui coûtent 4,5 €. De quoi payer une semaine de pain pour mes quatre enfants. » L’équation est simple. Les frais de justice sont trop élevés, et les avocats des assurances, trop bien armés. Alain Diasonga a quitté « à l’amiable » son emploi dans un restaurant parisien l’an dernier. Il ne pouvait prévoir ce qui l’attendait : « J’ai appelé mon assureur pour être sûr qu’il prendrait en charge mes mensualités si je bénéficiais d’une rupture conventionnelle, puisque mon contrat ne mentionnait rien là-dessus. Il me l’a clairement affirmé. Il m’a menti. » Plutôt que de s’attaquer aux assureurs, les victimes peuvent toujours se retourner contre leur patron. Les chômeurs ont en effet douze mois, après la signature de la rupture conventionnelle, pour saisir le Conseil des Prud’hommes. Dans ce cas, ils doivent prouver qu’ils n’ont pas réellement souhaité leur départ de l’entreprise, ou qu’ils en ont été contraints (harcèlement, menaces, pression…) Une procédure souvent laborieuse. La nécessité de se rassembler Dès lors, les « arnaqués » – comme ils se surnomment- tentent péniblement de s’organiser pour se faire entendre. Sur la toile, un groupe issu du réseau social Facebook a été créé, rassemblant une quarantaine de clients malheureux, et les alertes sur la rupture conventionnelle se multiplient à travers les forums internet. Mais l’écho est bien faible. Pas une association de défense des consommateurs n’a pour le moment enquêté sur le sujet, et l’opinion publique se détourne d’un problème jugé trop complexe. Il en résulte un manque d’information qui a pour effet d’isoler davantage les victimes face aux patrons, banquiers et autres assureurs. Jean-Marc Navarro est un des rares contractants d’assurance perte d’emploi à avoir su tirer son épingle du jeu après une rupture conventionnelle. « J’ai vite compris que mon assurance ne fonctionnerait pas, indique cet ancien ingénieur BTP. J’ai donc négocié fermement mes indemnités de départ. Souvent, les personnes dans ce genre de situation se contentent d’empocher ce que leur patron leur propose, sans se battre ». Cet habitant de Charente-Maritime quittera son entreprise avec un chèque de 25 000 €, l’équivalent de six mois de salaire. Suffisant pour rebondir professionnellement et éviter le surendettement. «Mais j’ai bien conscience que tous n’ont pas eu cette chance », dit-il. Jean-Marc Navarro a depuis décidé de mener le « le combat contre cette imposture », et conseille les consommateurs qu’il considère comme de potentielles victimes par le biais du groupe Facebook. A Lanvollon, Marie-Thérèse Plusquellec, elle, n’a pas surfé sur les forums. « Seule ma banque m’a conseillée, ironise-t-elle. On m’a proposé d’ouvrir un dossier de surendettement. » Que la cliente a refusé aussitôt : « Si c’est pour que l’on me confisque ma carte bancaire, mon chéquier puis ma maison, je préfère ne pas en entendre parler et essayer de garder la tête haute. » Après de multiples confrontations infructueuses avec son conseiller financier, elle contacte en 2009 le sénateur de sa circonscription, Ronan Kerdraon (PS). Sensibilisé au problème, l’élu ne tarde pas à recenser un nombre croissant de litiges. « Il y a urgence à intervenir pour combler ce vide juridique », martèle le parlementaire, lequel estime « entre 10 000 et 30 000 le nombre de victimes en France. » Basé sur le nombre total de ruptures conventionnelles effectuées – soit environ 500 000 depuis la création de la loi – le calcul reste quelque peu hasardeux, les « arnaqués » étant pour la plupart extrêmement isolés. C’est pourquoi Ronan Kerdraon a formé un groupe parlementaire sensible à cette question. Il regroupe une vingtaine de politiques désireux d’agir avec pragmatisme. « Il faut que les victimes se rassemblent et élisent un président d’association, explique le sénateur. Ensuite, un rapporteur pourrait être nommé au sein de l’Assemblée pour les dénombrer et collecter des informations. » La procédure pourrait ensuite prendre la forme d’un rapport national, puis l’audition des principaux acteurs concernés par ce type de litiges. Le gouvernement botte en touche Afin d’accélérer ce processus, l’élu a adressé, l’an dernier, une lettre officielle à l’attention de Christine Lagarde, alors Ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Sous forme de question écrite, le document met en avant l’interprétation arbitraire des assureurs face à la multiplication des ruptures conventionnelles considérées, pour leurs compagnies, comme closes « libératoires ». Sept mois plus tard, Christine Lagarde s’est déclarée impuissante pour harmoniser les décisions des compagnies d’assurances. Dans sa réponse, elle explique que « les contrats d’assurances emprunteur sont des contrats de droit privé […] et leur contenu relève de la politique commerciale des assureurs ». Bref, un statu quo au bénéfice des assurances qui pourrait perdurer encore plusieurs mois, selon Ronan Kerdraon. « Nous sommes en année pré-électorale, rappelle le sénateur. Le gouvernement ne cesse de mettre en avant la franche réussite de la rupture conventionnelle, alors il n’a aucun intérêt à reconnaître un dysfonctionnement dans la loi. » Le moment n’est pas opportun pour modifier la législation. Chaque mois, Pôle emploi enregistre environ 20 000 nouveaux chômeurs, inscrits suite à une rupture conventionnelle. Combien, parmi ceux-là, se retrouveront oubliés par leurs assureurs et par la loi ‘ Gauthier FABRE et Romain DANIEL (Ecole Publique de Journalisme de Tours) Encadré : Comment bénéficier de l’assurance perte d’emploi ‘ Elle doit être souscrite en même temps que le prêt et s’ajoute à la mensualité ; Elle est réservée aux salariés en contrat à durée indéterminée travaillant depuis au moins 6 mois et ne se trouvant ni en période de préavis, d’essai ou de préretraite ; L’employé ne doit pas non plus être démissionnaire ni licencié pour faute grave : il doit donc avoir fait l’objet d’un licenciement individuel ou collectif classique ouvrant droit à indemnisation par les Assedic. Photo AJIS Légende : Gauthier Fabre (à gauche) et Romain Daniel (à droite)

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