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Mention Spéciale 2007

“Permis, visa pour l’emploi” Pas de permis, pas de voiture. Pas de voiture, peu de chance de trouver du travail. Mises en place il y a une dizaine d’années, les auto-écoles sociales sont un moyen de réinsertion sociale pour des personnes en rupture avec le monde du travail, qu’elles soient peu qualifiées ou au chômage depuis longtemps. Avec un taux de retour à l’emploi de 70%, ce dispositif de réinsertion est efficace et peu onéreux.

Enclavée entre de grandes tours blanches sur une petite zone industrielle, l’auto-école sociale de Colombes (Hauts-de-Seine) accueille chaque année une cinquantaine de personnes. L’unique véhicule-école est stationné sur la pelouse râpée à l’entrée du centre. Devant la porte, des jeunes hommes tirent une dernière fois sur leur cigarette. Trois heures de code les attendent. Dans une salle tapissée d’affiches de prévention routière, ils sont six à s’entraîner cet après-midi. « Comment tu reconnais une autoroute ‘» interroge Rachid Habibi, le moniteur aux cheveux blancs. Un jeune noir d’une vingtaine d’années s’empêtre dans ses explications. Rachid griffonne sur le tableau des séries de lignes. « Tu sais l’apprentissage ne se limite pas à ici. Tu dois te plonger dans ton bouquin tous les soirs. » Puis il prend le temps de répéter des conseils qu’il leur a déjà donnés. Alors que dans une auto-école classique, une série de code dure en moyenne 45 minutes, ici, il faut 1h30. Il y a quatre ans, Rachid Habibi a rendu les clefs de son auto-école marchande pour s’investir auprès d’un public qui n’a d’ordinaire jamais accès à cette formation : les demandeurs d’emploi, les jeunes sortis sans diplôme du système scolaire, les personnes en grande précarité. A Colombes, les stagiaires signent pour un « package » : obtention du code, du permis de conduire et suivi pour leur recherche d’emploi. « Nous prenons tous les gens sélectionnés par les organismes prescripteurs (ANPE, mission locale, PLIE), confie Muriel Lesain, la directrice de l’auto-école sociale. Très souvent, ces jeunes ont déjà travaillé, mais peinent à trouver un emploi stable. Soit qu’ils manquent de formation, soit que leurs diplômes étrangers ne sont pas reconnus en France. » Aussi les oriente-t-on vers les secteurs les plus pourvoyeurs d’emploi : le BTP, la restauration et les services à la personne. La recherche d’emploi se passe à côté de la salle de code. Une grande pièce claire équipée de dix ordinateurs reliés au site de l’ANPE. Quand les stagiaires lèvent les yeux de leur écran, ils tombent sur le périphérique direction Asnières-Saint-Denis. Depuis qu’il a eu son code, Nasser rencontre tous les jeudis matin sa conseillère, Stéphanie Sylvain. Il imprime les offres récentes de conducteur d’engin, à défaut de livreur, et s’installe face à elle. Stéphanie Sylvain fait le point avec lui sur ses candidatures, l’entraîne aux entretiens d’embauche et lui rédige parfois CV et lettres de motivation. « Certains ont de grosses difficultés en orthographe et en grammaire, reconnaît-elle. Le principal problème de ces jeunes précaires, c’est qu’ils sont sortis trop tôt du système scolaire. La plupart n’ont que le niveau BEPC. » Si Nasser a arrêté l’école à 13 ans, il est aujourd’hui à la fin de son parcours. Il attend fébrilement les résultats de l’examen de conduite qu’il a passé quatre jours plus tôt. « Pour faire la formation que je voudrais, il me faut absolument le permis, explique-t-il. Je veux en suivre une de conducteur d’engin, mais la seule qui soit payée en Ile-de-France se trouve dans les Yvelines. Et après, pour trouver du boulot dans le BTP, comme les chantiers bougent souvent, conduire sera nécessaire. » Trappe à l’inactivité Etre peu mobile dans notre société, c’est être en marge, de l’emploi notamment. « Que se passe-t-il lorsqu’une personne ne peut se déplacer ‘ interroge Eric le Breton, sociologue auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet en 2005 « Bouger pour s’en sortir ». Les pauvres sont pris dans un cercle vicieux : faire du surplace dans l’espace géographique les condamne à faire du surplace dans l’espace social. » Pour le chercheur, le permis est « le diplôme le plus discriminant dans l’accès au travail ». Changements du monde du travail et mutations urbaines ont accru les distances entre lieu de travail et lieu d’habitation. En 1970, un Français parcourait en moyenne un peu moins de 20 km par jour. Aujourd’hui, cette distance approche les 40 km. Eric le Breton souligne par ailleurs que « l’impératif de mobilité est d’autant plus fort que les personnes sont moins qualifiées. Les jeunes, les femmes isolées, les personnes issues de l’immigration n’ont accès au travail qu’à travers les emplois atypiques (CDD, jour/nuit, horaires décalés). » Aussi, pour lui, il faut considérer que « la mobilité est une dimension des trappes d’inactivité. » L’Institut pour la ville en mouvement (IVM), fondation de PSA- Peugeot-Citroën créée en 2000, a remarqué en effet que la durée du chômage est réduite de 23% pour les personnes ayant leur permis de conduire, contre 8% pour les personnes bénéficiant de titres de transports gratuits. Pourquoi ‘ Parce que pour les employeurs, le permis de conduire est une étiquette. Ne pas l’avoir signifie soit que l’on n’est pas doué, soit que l’on a des problèmes d’alcool ou de santé importants. La prise en compte du problème de mobilité des précaires comme frein à leur insertion est assez récente. Saint-Nazaire est une des premières villes à avoir créé une auto-école sociale au début des années 1990. Dix ans plus tard, ce dispositif commence à essaimer. Notamment avec la création de l’IVM et sur la pression de la Fare (Fédération des associations de la route pour l’éducation et l’insertion sociale) créée en 1988, dont l’objectif est « d’utiliser le permis de conduire comme outil d’insertion sociale et professionnelle pour un public en difficulté ». Cette dernière a en effet fait un travail de lobbying auprès du ministère des Transports. Résultat : un décret publié le 8 janvier 2001 définit les conditions d’un agrément d’auto-école sociale. Un premier pas encourageant pour la Fare. Le permis à 50 euros A 24 ans, Aurélie, n’aurait jamais pu se payer l’inscription dans une auto-école classique. « Je suis au chômage et mon compagnon ne gagne pas beaucoup, explique cette jeune Congolaise, auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Jusqu’à ce que j’entende parler de l’auto-école sociale, je ne voyais pas comment je pouvais passer le permis ». Pour beaucoup de chômeurs et de précaires, 1000 euros, le coût moyen du permis de conduire dans une auto-école marchande, est prohibitif. Dans les auto-écoles sociales, on leur demande une somme symbolique : de 50 à 100 euros pour toute la formation. Le reste est pris en charge par les organismes prescripteurs ou par les collectivités territoriales. Marc Fontanés, consultant en mobilité et fondateur-gérant de l’entreprise Mobility +, estime que le coût de mise en place d’une auto-école sociale recevant 50 à 60 personnes par an est de 100 000 à 150 000 euros, soit entre 1700 et 3000 euros par stagiaire. A Royan (Charente-Maritime), la directrice de l’auto-école sociale, Mélanie Gachelin, a calculé le coût de ce dispositif : de 1750 euros à 2000 euros par stagiaire. C’est plus qu’un permis classique. Mais avec un taux de retour à l’emploi proche de 60 à 70% après l’obtention du permis de conduire, cette aide à la réinsertion est peu coûteuse. Surtout ramenée au coût pour les départements, d’une personne au RMI : 5300 euros en 2006, selon l’Assemblée des départements de France. Ce dispositif est pourtant peu développé. En 2002, la Fare a recensé une cinquantaine d’auto-écoles sociales accueillant 2500 à 3000 personnes. Selon cette organisation, en 2006, le nombre de bénéficiaires et d’auto-école sociale a certainement un peu augmenté. Il y en aurait aujourd’hui près de soixante-dix. Certaines régions ont en effet décidé de tester à grande échelle ce dispositif. Le Nord Pas-de-Calais a ainsi lancé pour 2007-2008, un « programme expérimental d’aide à la mobilité » dans son volet formation. Une démarche originale. Souvent, les aides à la mobilité des collectivités locales se limitent aux transports en commun. Mais de bon sens. Selon l’Institut pour la ville en mouvement, « un tiers des bénéficiaires potentiels profite réellement des abonnements aux transports collectifs gratuits ou à prix réduits » accordés par les collectivités locales. L’exemple nordiste est donc marginal. Le plus souvent, les régions ne reconnaissent pas le permis comme une formation à part entière. Les auto-écoles sociales ne peuvent donc pas facilement bénéficier d’aides ou de dotations. « Pourtant, le permis sera peut-être le seul diplôme pour certaines personnes », argue la Fare. Alors que des indicateurs de difficultés de logement ou de santé sont disponibles, aucune donnée n’existe sur les problèmes de mobilité. La mobilité est le chaînon manquant dans les réflexions sur l’insertion sociale. L’image est peut-être éculée, mais pour ces stagiaires, le permis est vécu comme un passeport pour la liberté. Si Nasser obtient le précieux papier rose de la préfecture, il choisira de travailler de nuit. « Je gagnerai un peu plus, plaisante-t-il de sa voix rocailleuse, et je pourrai m’occuper de ma petite famille dans la journée ». Ce serait pour lui « la touche magique ». Hélène POULAIN (Institut Pratique de Journalisme – IPJ)

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