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C’est avec une infinie tristesse que l’Association des journalistes de l’information sociale vous fait part de la disparition brutale de son ancien président, Manuel Jardinaud, décédé à Paris, le mardi 9 mars 2021, des suites d’un infarctus, à 49 ans.
Voici son portrait par Véronique Hunsinger, ancienne secrétaire générale.
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En janvier 2016, Manuel quittait la présidence de l’AJIS après sept années d’un engagement sans faille au comité directeur et au bureau. C’est au travers de notre association, comme beaucoup d’entre nous, que je l’ai connu. Quand il était le président et moi la secrétaire générale, entre 2013 et 2016, Nadine, notre déléguée, nous surnommait « le patron » et « la patronne ». A vrai dire, nous nous sommes toujours demandé comment le prendre. Mais nous supposions, au moins, que cela voulait dire que nous formions un binôme harmonieux au sein de cette petite boutique.
A notre association, Manuel a donné son enthousiasme, son charisme, sa créativité et sa générosité. Il fut sans doute l’un des meilleurs recruteurs de nouveaux candidats au comité directeur, j’en fus victime et témoin. Les dîners de bureau, chez les uns et les autres, très souvent chez lui d’ailleurs, se terminaient généralement après minuit et quelques (bonnes) bouteilles, juste à temps pour le dernier métro. On y débattait toujours avec passion, on se chamaillait parfois et on se marrait énormément. Pour Manuel, l’engagement associatif n’était pas possible sans la joie ni le partage. Il a été une extraordinaire mine d’idées d’activités, de voyages, de renouvellement des formats au service de la qualité de l’information sociale. Tous les objectifs fondateurs de l’AJIS étaient des idées qui lui étaient également chères. Sous sa présidence, nous avons défendu avec ferveur l’égalité de tous les journalistes au libre accès aux sources, notamment au moment du projet de directive européenne sur le secret des affaires ou de la constitution de l’Institut des données de santé. Il a également représenté l’information sociale à de nombreuses tribunes dont les Assises du journalisme de Tours.
Cet engagement de sa part s’inscrit évidemment dans une continuité de précédents. Après le lycée de Fontainebleau où son prof de philo est Robert Maggiori, plume de Libération, il étudie les sciences économiques à Assas puis le journalisme à l’ESJ Paris. Il rejoint ensuite Reporter sans frontières d’abord en tant qu’objecteur de conscience, une expérience dont il tira des constats lucides. Après un passage dans l’édition chez Gallimard, il s’installe pendant une dizaine d’années comme pigiste avec un goût de plus en plus affirmé pour l’information sociale - mention RH, formation, emploi - . Il signe dans le Parisien Eco, Les Echos, L’Usine nouvelle, Direction(s), ou L’Express. Durant cette période, il est également membre et président du collectif Les Incorrigibles. On se souvient qu’il a d’ailleurs été le premier président pigiste de l’AJIS. La pige est un mode d’exercice du journalisme qu’il a toujours défendu, prodiguant également avec énormément de gentillesse de nombreux conseils à ceux qui voulaient s’y essayer. En 2014, il revient néanmoins à un poste de rédaction à Liaisons sociales magazine puis rejoint, trois ans plus tard, Mediapart au pôle social, fait un détour par le journalisme politique avant de retourner récemment à l’information sociale. Homme de gauche, il tenait absolument à ce que le comité directeur de l’AJIS reflète le pluralisme de la presse française. Authentiquement féministe, il comptait les citations des femmes et des hommes dans ses articles, une évidence pour lui ; surtout quand on écrit sur le champ social. Cette habitude, aujourd’hui une pratique presque courante et reconnue, il me l’a transmise, il y a déjà une dizaine d’années.
Manuel avait des grands yeux noirs et un si large sourire dont s’échappait volontiers le mot « chouette » pour parler des gens, de la vie, de l’art. Incroyablement volubile, drôle, curieux des autres et très pudique, il n’aurait pas voulu que le portrait de l’homme privé aille ici au-delà de l’esquisse. Je me rappelle qu’il aimait, entre autres mille choses, les films de François Truffaut, les mobiles d’Alexander Calder, les toiles de Simon Hantai, les photos de Malick Sidibé, les livres de Virginie Despentes et la voix d’Eartha Kitt. Les terrasses parisiennes étaient son royaume. Même les Buttes Chaumont, c’était presque déjà un peu trop vert. Il suffisait pour faire son bonheur d’une table branlante posée sur 150 centimètres d’un trottoir du XIe arrondissement, au milieu des gaz d’échappement. A condition que le vin servi y soit bon. Plutôt un blanc ou alors un rouge léger. Des terrasses où avec moi et tant d’autres, il aimait refaire le monde. Lors de fins de journée de printemps ou comme un soir de janvier 2015, où nous nous sommes, tous les deux, retrouvés abasourdis près de République après l’attentat de Charlie Hebdo.
Ainsi, lorsque les bistrots parisiens pourront enfin redéployer leurs tables et leurs chaises au dehors, je vous propose de lui dédier le premier verre de vin que vous pourrez y prendre et de vous souvenir de lui. Aujourd’hui, nous pensons très fort à ses collègues, ses amis, sa famille et en particulier Rosalie, sa fille adorée.
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