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L’article du Prix 2010

La FNSEA au bord de l’ébullition La grève du lait et ses torrents blancs déversés dans les champs a déclenché la guerre entre l’Association des producteurs de lait indépendants et la FNSEA. Accusée de se faire du beurre sur le dos des producteurs, la Fédération perd des adhérents et traverse une crise de représentativité. Enquête sur une lutte ouverte entre une simple association et le principal syndicat agricole français.

Les cheveux longs blonds, la barbe mal taillée, des petites lunettes rondes sur le nez, une langue bien pendue et le sens de la formule ponctuée d’un fort accent du Sud. Pascal Massol, à la tête de l’Association des producteurs de lait indépendants (Apli), est en quelque sorte l’opposé du président de la FNSEA. Le leader charismatique de l’Apli, producteur de lait dans l’Aveyron, ne s’embarrasse pas du protocole. Il monte à la capitale vêtu comme dans son exploitation, contrairement à Jean-Michel Lemétayer, plus souvent en costard cravate à Paris qu’en bottes, dans sa ferme bretonne. Créée en décembre 2008, l’Apli compte aujourd’hui près de 8000 adhérents. Même si un producteur de lait sur dix en France en fait partie, l’association est exclue de la table des négociations officielle, où seuls les syndicats représentatifs siègent. Mais depuis que l’Apli a déclenché la grève du lait, Pascal Massol est régulièrement reçu par le cabinet du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, ou à la Commission européenne. Un lobbying qui l’oblige à faire le voyage jusqu’à Paris ou Bruxelles « au moins une fois par semaine. » Cette fois, s’il est monté à Paris, c’est pour retrouver les leaders régionaux de l’Apli. À deux semaines du salon de l’Agriculture, les militants peaufinent leur plan pour perturber la fête de l’agriculture annuelle. Leur QG improvisé, un hôtel, près de la gare de l’Est. À l’issue de la réunion, une date est choisie : le lundi 1er mars. Ce jour-là, le salon ne se résumera pas à des visites de politiques, des tapes sur le derrière des vaches et des dégustations. Jean-Michel Lemétayer séquestré Au salon, tous les syndicats agricoles ont leur stand, l’Apli, non. Mais comme lors des négociations avec le ministère, elle n’est jamais bien loin. Le jour J arrive : l’association réussit à rassembler près de 2000 agriculteurs pour former une marche funèbre. La troupe suit un cercueil, symbole des producteurs de lait. Elle siffle abondamment la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) en passant devant son emplacement. En tête du cortège, Sophie Poux. L’agricultrice a connu son heure de gloire lors de l’émission « Paroles de Français », sur TF1, le 25 janvier dernier. Celle qui avait alerté Nicolas Sarkozy sur la détresse des producteurs de lait est en fait la porte-parole de l’Apli du Tarn-et-Garonne. Elle produit à perte et est « obligée d’emprunter pour pouvoir vivre » depuis qu’en juin 2009, le gouvernement et la FNSEA ont fixé un prix du lait acheté au producteur à 0,27 €, quand il lui coûte 0,30 € à produire. Pour une fois, la manifestation de l’Apli n’a pas eu le retentissement médiatique espéré. La marche funèbre est éclipsée par la tempête Xynthia, qui s’est abattue sur la Vendée la veille. Mais dans le milieu agricole, le rassemblement de cette masse de producteurs de lait fait bouillir les proches de Jean-Michel Lemétayer, agacés par les actions à répétition de Pascal Massol. Entre ces deux-là, les relations sont détestables, depuis que des agriculteurs de l’Apli ont séquestré le président de la FNSEA lors de l’ouverture du salon agricole rennais, en pleine grève du lait, le 15 septembre 2009. Ce même jour, plusieurs agriculteurs avaient brûlé leur carte de la FNSEA, face à son refus de soutenir le mouvement. L’Apli accuse Dans les coulisses des négociations, à la télévision, au salon de l’Agriculture… L’Apli est partout, et elle dérange. Alors que la FNSEA dénonce les grandes surfaces qui asphyxieraient les producteurs avec leurs marges surréalistes, l’Apli, elle, charge les transformateurs. Ce sont des industriels privés ou des coopératives d’agriculteurs, comme Entremont ou Sodiaal, qui s’occupent de mettre le lait en brique en usine, d’en faire du beurre ou des yaourts. Pour dénoncer l’abus des transformateurs, l’Apli s’appuie sur les chiffres du ministère de l’Agriculture : depuis 2005, la marge du distributeur a baissé, alors que celle du transformateur est montée en flèche. En 2009, sur une brique de lait, la grande distribution touchait 18 % du prix payé par le consommateur, le producteur même pas un tiers, et le transformateur, près de la moitié. « Sur le beurre, les transformateurs se gardent plus de la moitié de la marge et sur les yaourts, 40%. C’est inacceptable, s’énerve Pascal Massol. Personne ne s’est jamais occupé des transformateurs, parce que parmi eux, il y a les industriels privés, mais aussi des coopératives laitières. Comme elles font partie de la Fédération Nationale des Coopératives Laitières (FNCL), antenne de la FNSEA, il n’y a aucune séparation des pouvoirs, et on laisse faire. » De quoi dégoûter nombre de producteurs de la Fédération, en cette période de vaches maigres. Depuis la grève du lait, la FNSEA perd des adhérents. Pas question de l’ébruiter, alors au niveau national, on tait les chiffres. Même réflexe à l’échelle locale, sauf dans deux Fédérations Départementales des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA) de Bretagne, première région productrice de lait en France. « Sur 1400 producteurs de lait adhérents, 200 ont jeté leur production, contre l’avis du syndicat. On en a viré deux parce qu’ils utilisaient leur bannière de la FNSEA pour aller renforcer l’Apli pendant la grève du lait, admet Michel Denon, directeur de la FDSEA du Morbihan. En tout, une quinzaine de producteurs morbihannais nous ont quittés pour l’Apli. » Dans le Finistère, la baisse du nombre d’adhérents en 2010 s’élève à 6 %. « La grève du lait a joué, annonce Anne-Sophie Herry, de la FDSEA. Des producteurs de lait ont refusé de verser leur cotisation, de 350 € par an en moyenne. Ils disent vouloir nous sanctionner, mais ils adhèreront à nouveau l’an prochain. Ils n’auront pas le choix, s’ils ont besoin d’aide juridique, par exemple. » C’est justement ces « services » rendus par la FNSEA, qui avaient poussé Francis Prigent, producteur de lait dans les Côtes-d’Armor, à adhérer en 2008 : « La FNSEA est bien implantée au niveau des commissions d’installations. Mon fils s’est établi en 2004 et ça n’a pas été facile, parce qu’il n’était pas adhérent. Quand on n’est pas avec eux, on est contre eux. » Pendant la grève du lait, Francis Prigent s’est senti abandonné par la FNSEA, et a fini par quitter la Fédération pour l’Apli. Jacques Foulier, 38 ans, a également « rendu le tablier » cette année. Ce producteur de lait était pourtant président cantonal de la FDSEA de Massiac, dans le Cantal : « La Fédération nous a laissé crever à petit feu… Je préfère mourir debout avec l’Apli. La semaine dernière, un producteur de mon département s’est pendu. C’est la misère qui pousse à bout. » La sœur de Jacques Foulier, Christiane Lambert, elle, est toujours vice-présidente de la FNSEA… De quoi animer les repas de famille. Pascal Massol ovationné Pour ces déçus de la Fédération, seule l’Apli a les épaules pour porter leurs revendications. Reste qu’une simple association n’a pas le bras aussi long que les syndicats, implantés dans le paysage agricole depuis des lustres. Reste aussi que la représentativité, voire la légitimité, d’une association à défendre les droits de travailleurs n’est pas si évidente. Pascal Massol n’y voit aucun problème : « La presse, les renseignements généraux, le ministère… Tout le monde nous a appelés pour savoir quelles actions on avait prévues à Paris pour le salon. Après on nous dit que nous ne sommes pas représentatifs. Il faudrait savoir ! A partir du moment où on pèse sur le terrain, on écoute nos revendications, c’est ça qui compte. » Entre association et syndicat, la limite reste floue. Pour preuve, le lapsus de la vice-présidente de la FNSEA elle-même, Christiane Lambert. « Le syndicat, euh… l’association des producteurs de lait indépendants a seulement pour but de déstabiliser la Fédération, se plaint-elle, la diction tremblante, le ton irrité, dès que le thème de la crise du lait est abordé. L’Apli dit qu’elle n’est pas un syndicat, mais elle est totalement affiliée à la Coordination rurale (CR). Pascal Massol était numéro cinq sur la liste de ce syndicat aux dernières élections de chambre, en 2007. » Le leader de l’Apli se justifie : « Je n’ai jamais adhéré à un syndicat. Si je me suis mis sur la liste de la CR, c’était simplement pour faire un contrepoids à la FNSEA. L’Apli ne deviendra pas un syndicat. La priorité, c’est de défendre une production, pas un appareil.» Pourtant, impossible de nier la proximité entre l’Apli et la Coordination rurale. Lors du dernier congrès annuel de la CR, en décembre dernier, Pascal Massol est ovationné. « La star de la soirée, c’était lui, reconnaît Jean Jacquez, animateur de la CR. L’Apli a réussi à contourner le système de négociation entre syndicat et ministère. Il n’empêche qu’aux prochaines élections de chambre, il faudra bien que les partisans de l’Apli se rabattent sur un syndicat. Nous avons de grandes chances de gagner en représentativité. » La Coordination rurale et l’Apli font partie du même mouvement, l’European Milk Board, qui a appelé à la grève du lait à l’échelle européenne. L’Apli a su s’adapter à l’Europe quand le syndicalisme agricole français est resté coincé à l’échelon national. C’est pourtant au niveau européen que sont prises les décisions. D’ailleurs, le 26 mars, la Commission européenne a prévu des mesures pour le secteur laitier, qui seront présentées en juin. Pascal Massol a participé au débat de la commission et il estime que cela « ne réglera rien. Les producteurs devront signer directement des accords avec les transformateurs industriels. On n’a déjà pas les moyens de vivre, alors comment pourrait-on se payer un avocat d’affaire ‘ Le rapport de force est déséquilibré. Si ces mesures sont adoptées en juin, il va y avoir le feu dans les campagnes comme il n’y a jamais eu. » Rozenn Le Saint (CELSA)

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