Dans le cadre de notre pack “Projet de loi Travail”, l’Ajis organisait mardi 29 mars un décryptage de la réforme des licenciements économiques par Deborah David et Patrick Thiébart, avocats associés au cabinet Jeantet. Selon ces avocats, qui conseillent les employeurs, cette réforme est intéressante pour les entreprises mais elle n’est pas non plus sans défaut.
Sur la définition des difficultés économiques, Déborah David rappelle que les quatre motifs possibles de licenciement économique consacrés par la loi El Khomri (difficultés économiques ; mutations technologiques ; sauvegarde de la compétitivité ; cessation d’activité) « sont une transposition de thèmes déjà intégrés dans le droit actuel par la jurisprudence ».
Que change leur codification alors ? « Pas grand-chose sur le plan des principes, car la jurisprudence était déjà bien ancrée dans les esprits », précise Déborah David. Toutefois, fait-elle remarquer « les juges n’apprécient pas tous de la même façon une situation dans laquelle sont invoquées ces difficultés économiques ». Notamment sur la question de la sauvegarde de la compétitivité, qui, précise Patrick Thiébart, « est extraordinairement complexe à démontrer puisqu’il faut faire la preuve devant un juge, qui n’a pas la formation pour en juger, que face à un concurrent l’entreprise serait en mauvaise posture si elle ne licencie pas pour dégager de la trésorerie et être en mesure d’investir ». Pour Patrick Thiébart, la loi «devrait donc servir à donner de la visibilité aux acteurs économiques» en les rassurant sur le risque de contentieux ».
Le fait-elle correctement ? Pas forcément. Certes, le projet de loi vise à encadrer la définition des difficultés économiques par des baisses de commandes, du chiffres d’affaires ou des pertes d’exploitation (ou « tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés »). Mais il laisse aussi le soin aux partenaires sociaux de définir la durée de cette dégradation, ce qui, pour Patrick Thiébart est « une bonne chose » sauf que cette négociation est prévue au niveau de la branche, ce qui lui semble insuffisamment près du terrain « car ce qui est une difficulté pour une PME n’en est pas une pour une grosse entreprise ». Il lui semble aussi que le niveau défini par le supplétif (quatre trimestres de baisses des commandes ou de chiffre d’affaires ou un semestre de perte d’exploitation) est « beaucoup trop bas pour inciter à la négociation ». Deborah David, elle, en revanche, considère que ce niveau « pour une PME, c’est parfois beaucoup trop, une telle durée est susceptible d’altérer de façon irrémédiable la situation économique et financière de telles entreprises ». Surtout, elle pense que « c’est très dangereux de laisser aux partenaires sociaux le soin de fixer à froid un carcan rigide, applicables à tous types d’entreprises dans un même secteur d’activité, alors que les problématiques et les modes de gestion des entreprises sont trop diverses. » Le nouveau périmètre défini par la loi El Khomri pour juger de ces difficultés économiques leur semble en revanche une bonne chose à tous les deux. «Aujourd’hui, la difficulté économique doit être démontrée au niveau du groupe, explique Deborah David. Si vous fabriquez des boutons en Hongrie, en Chine, et en France et que seule l’usine française perd de l’argent, vous n’avez pas de motif légitime pour procéder à des licenciements économiques. On en arrive ainsi à des situations assez dramatiques, où il est judiciairement moins risqué et moins coûteux de cesser définitivement l’activité d’une entreprise et de licencier tout le monde plutôt que procéder à quelques licenciements qui permettent d’adapter la masse salariale au niveau d’activité sur le marché français. »
Pour Patrick Thiébart, l’ajout du Conseil d’Etat, qui consiste à écrire dans la loi que les « difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois », n’apporte rien. « Le juge a déjà les outils pour vérifier s’il y a eu ou pas abus », argumente-t-il. Au contraire, estime-t-il, « il peut créer de l’insécurité juridique car je crains que cette disposition n’incite tous les avocats de salariés à s’engouffrer dans la brèche ».
Concernant le transfert d’activité, le cabinet Jeantet est favorable à la nouvelle écriture de la loi. Aujourd’hui, quand un repreneur se présente, l’entreprise cédante n’a pas le droit de licencier en amont, selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation. Il revient alors au repreneur, s’il souhaite réorganiser le site pour le rendre rentable, de procéder à des licenciements sur le périmètre de son entreprise ainsi élargie. Ce qui rebute nombre de repreneurs, « notamment dans un cas type Florange où la cession est la seule alternative à la fermeture d’un site», argumente Deborah David. Selon Patrick Thiébart, à cause de cette disposition, la loi Florange édictée en 2014 qui impose aux entreprises souhaitant fermer un site de rechercher un repreneur, «n’a pas réussi une seule fois en France». Selon la version 2 de la loi Khomri, désormais, dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, il n’y aura plus obligation systématique de transférer tous les contrats de travail, et l’entreprise cédante pourra “prononcer en amont des licenciements” pour les salariés non repris, se félicite Déborah David, qui estime que la loi El Khomri va « favoriser les reprises d’entreprises ».
Crédit photo : Nathalie Birchem.