La presse avait été complètement oubliée par les rédacteurs de l’article 47 du projet de loi santé, consacré l’« open data ». Ce comble vient d’être réparé, au moins pour les apparences, avec le texte qui a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale dans la nuit de vendredi à samedi.
En effet, au tout dernier moment, la ministre de la santé a rajouté explicitement les « organes de presse » parmi les acteurs qui auront un accès encadré à la future grande base administrative des données de santé. Mais cette réassurance tardive de répond pas à l’ensemble des inquiétudes de l’Ajis qui s’est fortement mobilisée depuis janvier sur cette question. Rappelons que dans la version initiale du projet de loi, les médias – considérés comme des organismes à but lucratif – n’avaient, purement et simplement, plus aucun accès direct aux bases de données de santé, alors que, depuis 1998, les bases hospitalières leur sont accessibles, sur autorisation de la CNIL. La concertation entreprise par l’Ajis avec le cabinet de la ministre avait déjà permis, il y a quelques semaines, de faire sauter ce premier verrou. L’Ajis est également satisfaite que les députés, auprès de qui elle avait entrepris un travail de sensibilisation, aient levé une ambiguïté du texte qui mettait celui-ci en contradiction avec le droit de la presse. Ainsi, ce n’est qu’après publication d’un article, et non dès la fin de leurs investigations, que ses auteurs devront transmettre à l’Institut national des données de santé (INDS) « la méthode et les résultats de l’analyse et les moyens d’en évaluer la validité ». Le spectre de ce qui aurait clairement été de la censure a donc disparu.
En revanche, deux autres points du texte, fondamentaux par rapport à la liberté d’informer, figurent toujours dans le projet de loi dans son état actuel. Tout d’abord, les demandeurs d’un accès aux bases de données devront toujours justifier de « l’intérêt public » de leur enquête. Outre que cette notion demeure juridiquement très floue, le problème central est que « l’intérêt public » en question devra faire l’objet d’un consensus entre les représentants d’acteurs aux intérêts aussi contradictoires que les caisses d’assurance maladie obligatoires et complémentaires, les associations de patients, les fédérations hospitalières, l’Etat ou les industriels de produits de santé, entre autres. Pour Marisol Touraine, le travail des journalistes est, par nature, d’intérêt public, comme l’a effectivement toujours soutenu la Cour européenne des Droits de l’Homme. Pourquoi dans ce cas leur demander de s’en justifier, a-t-on envie de répondre. Et pourquoi maintenir dans la procédure cette étape qui pourrait se révéler bloquante ? Les « classements des hôpitaux » ne sont probablement pas menacés aujourd’hui tant ils sont institutionnaliséset font partie du paysage. Mais c’est oublier le combat des premiers journalistes qui, pour les réaliser, ont dû batailler pour obtenir les données hospitalières nécessaires et se sont heurtés alors à de très fortes hostilités et résistances. Demain, pour travailler à partir de bases données de santé publiques sur des sujets potentiellement polémiques comme les dépassements d’honoraires, la consommation de médicaments ou la qualité des soins hospitaliers, un « data journaliste » ne pourra attendre que l’objet de son enquête fasse l’objet d’un consensus de tous les acteurs du système de santé. Autrement, il y aurait peu de risque qu’il puisse « mettre la plume dans la plaie ».
Le second point potentiel de blocage du travail de la presse est que le demandeur d’accès aux bases devra se soumettre à un « comité d’expertise » qui jugera de la « méthodologie retenue », de « la nécessité du recours à des données » et de la « pertinence de celles-ci par rapport à la finalité du traitement ». Les députés ont inscrit la possibilité de créer une section dédiée aux demandes de la presse dans ce comité d’expertise. Mais aujourd’hui nul ne sait qui le composera et comment il va statuer. Le risque qu’il ferme la porte de la forteresse des données de santé au nez des journalistes ne peut vraiment pas être exclu.
L’Ajis va donc continuer d’exercer sa vigilance tout au long de la suite de l’examen du projet de loi.