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L’article du Prix 2021 de l’information sociale

Wwoofing et droit du travail : un terrain en friche

La découverte de la vie dans une ferme biologique contre gîte et couvert attire de plus en plus d’adeptes, mieux connus sous le nom de wwoofeurs. Mais ce concept ultra-séduisant doit encore lever de nombreux obstacles juridiques.

« Le wwoofing m’a appris énormément de choses, comme récolter, planter ou prendre soin de la terre. » Ce dont parle Clara, étudiante en psychologie en quête de sens après le premier confinement, ce n’est pas de son amour pour l’aboiement du chien. Mais plutôt celui pour le Wwoof, contraction de World-Wide Opportunities on Organic Farms. Derrière cet acronyme surprenant, né il y a cinquante ans en Angleterre, se cache un réseau mondial et une initiative solidaire : celle de « s’initier aux savoir-faire et modes de vie biologiques » en donnant un coup de main « à des agriculteurs ou des particuliers qui offrent le gîte et le couvert ». Une définition que propose Wwoof France, l’association qui rassemble autour de cette pratique plus de 13 000 volontaires et 2 000 fermes référencées dans l’Hexagone.

Dans l’une d’entre elles, Clara a vécu une expérience qui l’a ravie. Les rencontres et la philosophie du wwoofing ont touché cette Lyonnaise, venue dans une ferme de Haute-Savoie pour fuir la ville. « Je devais rester deux semaines, j’y suis restée cinq mois. J’ai découvert une vie simple. On mangeait ce que l’on récoltait, on achetait le moins possible. C’était fou de vivre avec la nature, s’émerveille-t-elle. Et puis il y a toute cette notion d’entraide, presque familiale, avec des gens que tu connais peu. C’est très beau. »

Le wwoofeur, pas qu’un simple bénévole

Cette entraide scelle le contrat de confiance sur lequel repose le wwoofing. Il ne correspond en France à aucun statut légal, même si l’association a tenté de prendre les devants en imposant la signature d’une charte. Ses trois pages récapitulent les engagements de l’hôte et du wwoofeur, et insistent sur ce que le wwoofing n’est pas. «Elle indique que c’est une démarche volontaire, solidaire et carrément militante. Qu’il n’y a pas de lien de subordination et que, finalement, le wwoofeur reste libre d’organiser son temps, décrypte l’avocat en droit du travail Laurent Moreuil. Le site prend la précaution de se mettre dans la définition du contrat bénévole.»

Mais ce n’est pas si simple. L’offre du gîte et du couvert s’apparente à une rémunération en nature qui peut s’opposer aux principes admis du bénévolat. Plus problématique encore, la frontière entre le statut de wwoofeur et celui d’employé est très mince. Elle tient à l’existence, ou non, d’un lien de subordination qui, dans le droit du travail français, caractérise un contrat de travail. Un rapport hiérarchique que les contrôleurs de la Mutuelle sociale agricole (MSA) ne devraient donc pas constater entre l’hôte et le wwoofeur, censés être « des amis se donnant un coup de main », selon la charte.

Pour Edgard Cloërec, directeur de la MSA des Charentes, le droit du travail ne permet pourtant pas de distinguer un hôte qui abuse du droit (voir encadré), d’un hôte qui définirait des règles pour faciliter l’échange. « On fait très peu de contrôles car le wwoofing relève d’un acte de solidarité. Mais si on voulait être plus strict, on le requalifierait sans doute à chaque fois en travail dissimulé », reconnaît-il. « À partir du moment où il y a des consignes données sur les horaires, le lieu de travail ou les tâches à accomplir, c’est déjà un lien de subordination», complète Christophe Obara, responsable du service Maîtrise des risques de la MSA de Picardie.

Des hôtes face à l’insécurité juridique

Le wwoofing reste juridiquement inconfortable pour les hôtes. Y compris pour ceux dont les intentions sont louables. Le risque ? Se voir réclamer des cotisations par la MSA pour travail dissimulé. Une mésaventure rencontrée par Matthias Urban, maraîcher dans l’Hérault, à qui la MSA réclamait 4 300 euros de cotisations en 2014. Après une longue bataille menée jusque dans les bureaux de l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, l’agriculteur a finalement obtenu gain de cause. « On s’est quittés en bons termes. J’ai même partagé un jus de tomate avec les sous-directeurs du cabinet », s’amuse-t-il aujourd’hui.

Cette histoire emblématique a ouvert un dialogue entre Wwoof France et la MSA qui se sont accordés sur des règles. « Pour que la MSA nous tolère, elle nous a dit que les wwoofeurs et les hôtes devaient adhérer à l’association, que ces derniers devaient respecter un nombre limité de wwoofeurs et restreindre les séjours à trente jours », affirme Guillaume Pedro Zurbach, coordinateur de l’association. Malgré cela, le risque de requalification en travail dissimulé demeure, tant la frontière qui permet de distinguer le salariat du wwoofing est ténue.

Du côté de Wwoof France, on brandit la convention de lutte contre le travail illégal en cas de litige, signée en 2014 par l’État, la MSA et des organisations patronales et syndicales agricoles. Et on essaie de se protéger en rappelant qu’elle définit le wwoofing comme une activité présumée non-salariée. Car si un tribunal retenait la requalification du wwoofing, l’association pourrait être directement mise en cause. « En tant qu’intermédiaire, Wwoof France pourrait être condamné pour délit de marchandage. Ce qui est très grave », prévient l’universitaire Lucas Bento de Carvalho, professeur de droit et auteur d’un travail universitaire sur le sujet.

Vrais salariés ? Faux bénévoles ? En cas de condamnation, jamais l’association ne franchirait le pas de la contester devant une Cour d’appel. Pas plus que la MSA. « Ce serait prendre le risque que le tribunal impose sa jurisprudence », résume Guillaume Pedro Zurbach.

Une protection sociale hors de portée

Autre obstacle à lever : celui de la prise en charge et de l’indemnisation en cas d’accident. Aujourd’hui, l’adhésion à Wwoof France n’inclut rien en matière de protection sociale. Démarchées par l’association, les assureurs se sont montrés frileux à l’idée de couvrir les activités de woofing. Ce que déplore David Marie, actuel trésorier et ancien président de Wwoof France. « L’assureur qui acceptait de le faire nous imposait des conditions très drastiques comme ne pas monter à cheval, ne pas utiliser d’outils mécaniques. Ce qui est incompatible avec le travail à la ferme. »

À défaut, l’hôte et le wwoofeur sont invités à vérifier qu’ils ont bien une assurance responsabilité civile et que celle-ci prend en charge les dommages physiques et matériels dont ils pourraient être responsables ou victimes. «Si ce n’est pas le cas, le risque est que le wwoofeur demande la requalification de l’accident en accident du travail pour percevoir des indemnités », ajoute l’ancien président. C’est aussi problématique pour le wwoofeur qui sera obligé de prouver qu’il s’est bien blessé en travaillant.

À ce jour, aucun accident n’a été porté jusqu’au tribunal. Mais cela ne saurait durer éternellement. Car le nombre de wwoofeurs augmente un peu plus chaque année, et avec lui, le risque qu’un accident grave survienne.

Il est donc urgent de poser la question du statut légal de cette pratique. D’autant que ce système solidaire ne cesse de s’étendre hors du cadre qu’essaie d’imposer Wwoof France. « Si demain notre association disparaissait, il y aurait vingt groupes de wwoofing qui se créeraient sur Facebook. Et ça partirait dans tous les sens. Gare à ne pas ouvrir la boîte de Pandore », prévient Guillaume Pedro Zurbach.

Servile contre service (encadré)

Super expérience dans la plupart des cas, le wwoofing peut aussi donner lieu à des abus. Christine, animatrice périscolaire et wwoofeuse à l’occasion, en a fait les frais. Au bout de trois jours, son séjour dans les Alpes-Maritimes chez un éleveur de chèvres a viré au cauchemar. « J’ai appris que les exploitants partaient en vacances. Et qu’ils laissaient les clés de la ferme à leur fille de 17 ans, la stagiaire et moi-même. » Bien loin des cinq heures quotidiennes de travail mentionnées dans la charte, Christine est à l’œuvre douze heures chaque jour.

« On le sait qu’il y a eu des abus, que des hôtes font appel à nous parce qu’ils ne veulent pas payer de salariés », reconnaît Guillaume Pedro Zurbach. Et si en théorie les wwoofeurs ne doivent pas pourvoir à la bonne marche d’une entreprise agricole, ils permettent parfois à des micro-fermes n’ayant pas la capacité d’embaucher de se fournir en main d’œuvre.

Ce concept séduisant peut même être à la base de tout un business model. Comme chez ce maraîcher de l’Hérault où Zakari, étudiant en école d’ingénieur, a été accueilli. «Là-bas, tout reposait sur les huit wwoofeurs. Notre hôte ne faisait rien. Et si pendant un mois il ne trouvait personne, la ferme était laissée à l’abandon ». En plus des cinq demi-journées de travail par semaine, Zakari ne pouvait profiter du week-end pour visiter la région. Le samedi ? Il devait faire le marché. Le dimanche ? Nettoyer la ferme.

Pour éviter ces dérapages, l’association Wwoof France a mis en place des mécanismes pour mieux identifier les intentions de l’hôte. Avant de rejoindre le réseau, il passe un entretien téléphonique afin de vérifier si son objectif est bien de transmettre des savoirs. Des commentaires du wwoofeur laissés sur le profil de l’hôte permettent également d’avoir des retours de terrain. De quoi sans doute limiter les abus, mais pas éliminer les risques de mésaventures.

Juliette BOURGAULT et Romane ROSSET
IPJ

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