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Le Prix 2015 de l’Information Sociale

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Ce prix est décerné à Quentin Moynet, étudiant au CELSA, pour une enquête écrite intitulée « A Aubervilliers, l’insertion montre les poings »

A Aubervilliers, l’insertion montre les poings

Depuis 1999, Boxing Beats forme des boxeurs de haut niveau. Mais pas seulement. A travers des cours de soutien, de la boxe éducative et même des propositions d’emplois, le club amateur d’Aubervilliers cherche aussi à insérer socialement et professionnellement les jeunes de son quartier.

ocl120150706 19Le sifflet de Saïd Bennajem imprime le rythme. Trois fois par semaine, cet éducateur sportif de 46 ans dirige un entraînement de boxe anglaise dans la salle Jean Martin, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. C’est là, en 1999, que l’ancien quadruple champion de France de boxe a créé l’association Boxing Beats. Ce jeudi soir, ils sont une vingtaine à suivre la séance. Sur deux rings et autour d’une dizaine de sacs de frappe, ils enchaînent les exercices, sans broncher. Course, corde à sauter, pompes, frappes dans le vide, coups de plus en plus rapides dans un punching-ball, combats en trois rounds… Sous le regard de Mohammed Ali, dont l’immense portrait en noir et blanc surplombe la salle, les boxeurs suent à grosses gouttes. Les grimaces sur leur visage trahissent leur souffrance. Il en faut plus pour attendrir Sounil Louazani, ancien boxeur algérien de haut niveau, désormais entraîneur, qui guette le moindre relâchement de ses élèves. « Sabrina, on ne t’a pas demandé de faire la prière. Lève les fesses ! » crie-t-il pendant une série de pompes, déclenchant un fou rire général.

« Je préfère avoir dix mecs en CDI plutôt que dix champions du monde »

Située au fond d’une cour dans le quartier Villette-Quatre Chemins, la salle Jean Martin accueille des boxeurs souhaitant atteindre le haut niveau. Mais aussi des jeunes à la recherche de repères, au cœur d’un département où le chômage touche 22,1% des 15-29 ans et où près d’un jeune sur trois arrête ses études sans avoir obtenu de diplôme*. « Quand j’ai monté le club, c’était pour moi évident de faire un lien entre la réussite sportive et la réussite scolaire, professionnelle, explique Saïd Bennajem, qui a longtemps regretté d’avoir arrêté ses études à 15 ans avant de les reprendre presque vingt ans plus tard. Tu es champion de France, champion du monde, mais tu n’as pas de métier ou tu es en galère à l’école, c’est un échec. En France, aucun boxeur ne vit de son sport. Aucun. Donc je préfère avoir dix mecs en CDI plutôt que dix champions du monde. »

Après 1h30 d’efforts intenses, Saïd libère enfin ses boxeurs. « On est super contents de votre travail, on continue comme ça », lance-t-il avant d’interpeller le jeune Boca : « Pense à ramener ton CV mardi. » Boca sera peut-être le prochain à être embauché grâce à Boxing Beats. Depuis 2011, l’association trouve chaque année un emploi à deux de ses boxeurs grâce à un partenariat avec le consortium Stade de France. « La convention est terminée mais on continue à trouver des CDI avec l’aide du responsable des achats du Stade de France, précise Saïd. Quand on repère un profil intéressant, il le convoque et fait le lien entre le jeune et l’entreprise. »

Recruté par la société de nettoyage Elior il y a un an, Lassina Keita, 25 ans, est l’un des premiers à avoir bénéficié de ce projet. « Ma vie a changé, assure le jeune homme sous sa casquette des Chicago Bulls. Avant, je faisais de l’intérim, ce n’était pas évident. Maintenant, j’ai un boulot, un salaire. J’ai pu économiser, passer le permis, acheter une voiture. J’ai une vie stable. La boxe m’a ouvert l’esprit, m’a donné du courage, du mental. Aujourd’hui, je suis content mais j’en veux encore plus. Mon objectif c’est de créer une société de nettoyage. »

Le modèle Sarah Ourahmoune

Avec plus de cinquante titres de champion de France, quatre titres européens, un titre mondial et une qualification aux Jeux olympiques de 2008 à son actif, Boxing Beats a formé de nombreux sportifs de haut niveau. Mais pas seulement. Le club du 93 propose aussi des cours de boxe éducative pour les jeunes de 12 à 16 ans. Si les coups forts sont proscrits, les valeurs sont les mêmes qu’en boxe amateur : humilité, respect, courage, détermination. Affichés sur les murs de la salle, ces mots résonnent dans l’esprit des jeunes boxeurs. « Ces valeurs, on voudrait qu’ils les appliquent tous les jours, indique Saïd. Quand tu montes sur le ring, tu te lances un défi énorme. Prendre des coups, en éviter. Après, le reste, c’est facile. Quand tu acceptes de sortir le nez en sang, avec un œil au beurre noir, tu as peur de quoi, après ? Pas de te lever à 7 heures du matin pour aller à l’école ou chercher du boulot. »

Le projet éducatif du club d’Aubervilliers ne s’arrête pas là. Tous les mercredis après-midi, des cours de soutien gratuits sont proposés aux adhérents. Située au-dessus des rings, la mezzanine accueille aujourd’hui une dizaine d’élèves, de tous âges. Mounia Khemmou, professeur des écoles en Seine-Saint-Denis, et Karen Rieckmann, étudiante à Sciences Po, prennent sur leur temps libre pour aider les jeunes. « Ils progressent très vite, se félicite Mounia, 34 ans. Ils reviennent avec plaisir. Ils sont dans un lieu qu’ils connaissent, où ils sont en confiance. Pendant les vacances de février, on a ouvert la salle deux heures tous les après-midis. Ils étaient tous là pour faire leurs devoirs. »

Ce mercredi, Sarah Ourahmoune a aussi fait le déplacement. Membre du club depuis quinze ans et championne du monde en 2008, la boxeuse de 32 ans fait figure d’exemple. « C’est la colonne vertébrale du club, sur le plan sportif mais aussi au niveau du projet éducatif, assure Saïd qui lui a permis d’intégrer la filière de haut niveau de Sciences Po Paris. C’est ma grande fierté. Aujourd’hui, elle monte un projet de boîte, qui vise à introduire la boxe dans les entreprises. » Plus récemment, Boxing Beats a permis à Stelly Fergé, vice-championne de France chez les moins de 57 kg en février dernier, de trouver un emploi d’avenir. « Depuis un an et demi, je suis éducatrice sportive à Aubervilliers, dans les écoles, confirme l’athlète de 22 ans en enlevant ses gants et son bandeau. C’est Saïd qui m’a ouvert la porte. J’avais arrêté les études après mon bac comptabilité parce que j’en avais marre. Mes profs ne me soutenaient pas comme peuvent le faire Saïd ou Sounil. Eux m’aident à m’épanouir. »

« Sans la boxe, je serais en garde à vue ou en foyer »

Henrique Nogueira, lui, suit les cours de soutien depuis six ans. S’il rêve de percer dans la boxe, le lycéen de 16 ans s’accroche pour obtenir son bac pro électricité. « Sans les cours de soutien, je n’aurais jamais pu aller en seconde, reconnaît-il timidement sous son chapeau noir qu’il ne quitte que pour monter sur le ring. Parfois j’ai envie d’arrêter mais Saïd me persuade de continuer. J’ai une relation de confiance avec lui. C’est plus qu’un entraîneur, c’est un ami. »

Nerveux et bagarreur, Henrique sait qu’il doit beaucoup à la boxe. « Elle m’aide vraiment à me canaliser. Sans elle, je serais en garde à vue ou en foyer », souffle-t-il. « Quand Henrique a été exclu quelques jours du lycée l’année dernière, il a été privé de boxe », raconte Mounia. « S’il y a un souci à l’école, l’enfant est suspendu d’entraînement, confirme Saïd, alors que le jeune Issia l’interrompt pour lui demander de traduire le mot montgolfière en anglais. On lui propose de venir au soutien scolaire et il ne reprend la boxe que quand ses notes et son comportement changent. »

A l’initiative de la présidente du club, Natacha Lapeyroux, Boxing Beats a récemment lancé deux nouveaux projets éducatifs. Le premier, baptisé « atelier reportage », offre aux adhérents la possibilité de suivre des cours de journalisme une fois par semaine. Et de réaliser des photos et des articles publiés sur le site de l’association. Le second, « Caméra aux poings », permet aux jeunes de découvrir le monde du travail en interrogeant et en filmant des salariés d’entreprises locales. « Dans le quartier, les jeunes ont un discours un peu fataliste, explique Saïd. Mais je ne veux pas qu’à 15 ans ils baissent les bras. Sinon, à 20 ans, ils sont par terre. L’idée, c’est de les tirer vers le haut, de s’intéresser à ce qu’ils savent faire. Ils ont des idées et des qualités qu’ils ne soupçonnent même pas. Nous, on essaie de leur ouvrir les yeux. »

Quentin MOYNET

* Selon une étude de l’Observatoire départemental des données sociales de la Seine-Saint-Denis publiée en juillet 2014.

 

Crédit photo : Olivier Clément.

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